Eve indisciplinée

Le projet proposé est issu du spectacle Eve Project, un texte de Lucienne Girardier Serex sur un décor sonore de Ludovic Winkler. Ce spectacle a été créé le 6 décembre 2019 au Théâtre du pommier à Neuchâtel. La version courte avait été jouée plusieurs fois, à Peseux et à Delémont. Visiblement, ce texte fait rire et pleurer, il questionne, il « émotionne ». Loin d’asséner des vérités toutes faites, l’histoire de cette Eve libre et décomplexée porte un regard décalé sur le mythe.

 

Capsule en confinement

Présentation du texte 

Eve, curieuse et indisciplinée expérimente, dans le Jardin d’Eden, l’esprit tout nouveau insufflé en elle par le Créateur. Pourquoi, se demande-t-elle, l’Eternel a-t-il posé un interdit dans un monde parfait ? Elle en discute avec les animaux, mais lorsqu’on aborde le problème du mal, la nuit n’est pas assez longue :

“ Eve, verse-moi encore un peu de ton jus fermenté, dit le lion”...

Tout comme le concept du chasseur de mammouth tirant sa femme par les cheveux, le conte biblique d’Adam et Eve a fixé l’image d’une femme inférieure à l’homme. Alors que les archéologues remettent en cause les prouesses des chasseurs qui courraient, semble-t-il, plutôt après des campagnols, il est temps de revenir sur la culpabilité d’Eve. Eve, qui reçoit la Vie dans ses entrailles au lieu de la mort prédite, a-t-elle vraiment été maudite ? Sa transgression n’était-elle pas un acte de courage ? Le symbolisme d’un récit à caractère onirique permet d’aborder les relations entre l’humain et la nature, entre l’homme et la femme, entre le bien et le mal de manière totalement ouverte.

 

Ktoquatoccata

Traduction à partir de l'allemand d'un chapitre du Procès de Franz Kafka.

Pour les appartements dont les portes étaient fermées, K toquait et demandait si un menuisier Lanz habitait là. La plupart du temps c’est une femme qui ouvrait, écoutait la question et se retournait vers la chambre pour demander à quelqu’un qui se relevait sur un lit. « Le monsieur demande si un menuisier Lanz habite ici ». « Tischler Lanz ? » demandait celui du lit. « Ja » disait K, bien que là, manifestement, ne se trouvât pas la commission d’enquête et que sa tâche s’arrêtait de ce fait. Beaucoup pensaient qu’il était très important pour K de trouver ce Tischler Lanz. Ils réfléchissaient longtemps, nommaient un menuisier, mais qui ne s’appelait pas Lanz, ou donnaient un nom, qui avait une lointaine ressemblance avec celui de Lanz, ou alors, ils demandaient à un voisin ou encore accompagnaient K jusqu’à une porte vraiment lointaine où il pouvait y avoir, à leur avis, quelqu’un qui répondrait à ce nom ou peut-être un sous-locataire ou alors quelqu’un qui pourrait mieux le renseigner.

Lecture et musique en collaboration avec Barbara Minder aux flûtes.

Extrait du rapport des chemins de traverse 2017

Kafka, comment dire ? Comment décrire l’état dans lequel on se trouve lorsqu’on est touché par une œuvre de génie ? Une œuvre organique, diverse et fluctuante – fatale.

Mais tout d’abord, présentons-la. Dans Le Procès, publié en 1925, Kafka esquisse un monde dont on ne sait s’il est intérieur ou extérieur, tangible ou non. Alors qu’il se rend à son premier interrogatoire, Joseph K. découvre que le palais de justice est un immeuble aux multiples portes dans lequel vivent des familles prolétaires. La salle d’interrogatoire est remplie de gens qu’il ne connaît pas et auxquels il clame son innocence. Qui juge, et surtout qui est jugé, qui est innocent, qui est coupable et de quoi ? Joseph K voit son quotidien lui échapper et avec lui, notre raison est mise à mal.

Comment, dès lors, interpréter un texte aussi déroutant ? D’abord en découvrir la nature, en l’écoutant, tout simplement. C’est là, qu’avec Barbara, nous est venue l’envie de le retraduire. S’immerger dans l’allemand ; conserver les aspérités de cette langue, ses chuintements et ses sévérités. Dépister les jeux subtils que l’auteur crée avec le sens et l’assonance. Hésiter avec K., se perdre avec K., s’indigner avec K., hurler avec K., ironiser et douter avec lui. Oublier les règles de la composition française, oublier la logique et la bien-pensance, couper dans le superflu, retrouver le rythme primordial, se laisser couler, accepter de perdre le souffle. Et tant pis (et tant mieux !), on laisse quelques mots en allemand. Ils ont leur place percussive … percutante ?

C’est alors qu’on se retrouve avec Barbara, avec ses flûtes qui parlent et ses bidules électroniques, sur des chemins de traverse. Sa forte présence pose le texte, lui donne une ossature. Qui est capable d’envisager Bach sur un texte de Kafka ? Quand Barbara entame un choral, pourtant, c’est l’évidence. Son immense flûte basse poursuit inlassablement, de ses clapets, l’interpelé K dans les couloirs d’un tribunal où les enfants jouent, les femmes font la lessive et les hommes, la sieste.

Autour de nous, des présences bienveillantes. Matthieu règle les appareils ; Nicolas, discrètement, prend des photos ; Gian donne les consignes de mise en scène ; Florian rigole en donnant des coups de main. Thierry contemple sa bibliothèque dans laquelle nous avons suspendu de la lessive. Elle ressemble au texte, maintenant, avec les petits pantalons d’Iris et les T-shirts d’Alexandre qui sèchent au milieu des dictionnaires et des portraits de prélats austères.

Vient le jour de la représentation et la magie opère. Celle du génie de Kafka, celle de notre connivence. Les sons éclatent, les voix se mêlent et la bibliothèque devient le théâtre de l’étrange procès.

K sourit et dit : « Monsieur le juge d’instruction vient, juste devant moi, de faire un signe mystérieux à quelqu’un dans la salle. Il y a donc des gens parmi vous que l’on dirige d’ici en haut. Je ne sais pas si ce signe tendait à provoquer des sifflements ou des applaudissements, et je renonce ainsi, en le révélant prématurément, de manière délibérée, à en apprendre la signification. Cela m’est complètement égal et j’autorise publiquement Monsieur le juge d’instruction à donner ses ordres à ses hommes de main, là en bas, de manière ouverte, plutôt que par des mimiques secrètes, qu’il leur dise carrément de siffler : Jetzt zischt ! ou la prochaine fois d’applaudir : Jetzt klatscht !

Construire un feu

Traduction à partir de l'anglais de la nouvelle de Jack London: Construire un feu.

Aussi loin que le regard pouvait porter, la neige ondoyait en de molles ondulations, de sapin en sapin, d’île en île, au Nord comme au Sud. Dans tout ce blanc, seule serpentait une fine ligne sombre apparaissant et disparaissant de collines en collines. Cette ligne sombre, c’était la piste, la grande piste.
Elle menait au Sud vers les passes du Chilcoot et les eaux salées. Elle menait vers le nord à Dawson, à quatre-vingt milles de là, puis, mille milles plus loin, vers Nulato et après mille milles encore à Fort Michaël, sur la Mer de Behring.

Lecture et musique en collaboration avec Nicolas Soguel à la basse (notamment).

 

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